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La trajectoire inédite de la gourde face au dollar en Haïti



écrit par: Schamlie Lephnie Demosthene



Un économiste, selon Stephen M. GOLDFLED, c’est quelqu’un qui voit fonctionner les choses en pratique et, il se demande également si elles pourraient fonctionner en théorie. Autrement dit, est ce qu’il est possible d’effectuer des recherches sur les grands concepts et les phénomènes économiques, d’interpréter les phénomènes, les données pour produire des analyses, de modéliser, d’expliquer et surtout de faire des prévisions sur les caractéristiques économiques des sociétés (Louis, 2020). Selon l’économiste britannique Nicholas Kaldor (1908-1986), dans son fameux « Carré magique », il présuppose que la santé économique d'un pays est reposé sur quatre grands piliers, à savoir : « La croissance économique, Le plein emploi des facteurs de production, l’équilibre extérieur de la balance commerciale et notamment la stabilité des prix ». En fait, toutes les « politiques économiques » (Guerrien, 2000) doivent donc, au moins, se constituer ou mener autour de ces quatre éléments. La création des richesses qui passe nécessairement par l’utilisation des facteurs de production fait que les relations économiques internationales se réalisent à des fins de tirer des gains à l’échange et de la stabilité des prix pour maintenir les marchés à un niveau d’équilibre. De cette dernière survient le prix sur le marché de change : le taux de change.


L’Intérêt fondamental de notre article consiste à porter un regard sur un point névralgique typiquement lié à la réalité socio-économique de la société haïtienne qui s’articule autour d’une double circulation monétaire dans la limite de voir à quel point cela a affecté le taux de change de la gourde par rapport aux dollars, tout en faisant également des analyses et des interprétations relatives à une meilleure compréhension. Pour mieux comprendre ce phénomène, il nous faut un peu de théories économiques et des faits historiques. Afin de mieux aboutir à notre démarche heuristique, nous allons nous évertuer à répondre à cette question dont la formulation est celle-ci: Quels sont les éléments qui peuvent justifier et expliquer la montée excessive du taux de change en Haïti durant ces dernières années ?


En effet, en puisant dans le panorama historique de la monnaie en Haïti, nous avons pu constater que l’écart entre la gourde et le dollar us ne date pas durant ces trois dernières décennies. Sous la présidence de Jean Pierre Boyer, on avait besoin trois gourdes pour l’acquisition d’un dollar. Ceci a été le taux appliqué en 1843. Par contre, des difficultés diverses ont surgi : les dépenses incontrôlées, les guerres civiles etc…Ce qui met le gouvernement d’alors dans l’incapacité de financer les impressions des billets qui circulaient à l’époque. Ensuite, Les grandes mutations socio-économiques et politique qui marquaient le monde au cours des années de 1980 à savoir : Le début de l'application des politiques économiques néolibérales, la hausse des Prix du pétrole dans les années 1970, la récession du début des années 1980, éclatement de la crise de la dette en 1982 ont influencé négativement sur les réalités socio- économique et politique d’Haïti. Au milieu de l’année 1982 on a assisté à un phénomène que l’on pourrait qualifier de nouveau en Haïti l’émergence d’un « marché parallèle des changes ». On avait besoin plus de gourdes pour acheter les mêmes quantités de dollar qu’on achetait auparavant, la gourde s’écarte de sa valeur de cinq gourdes pour un dollar, et fluctue vers la hausse sans jamais revenir au niveau initial. Cette situation insérait l’économie haïtienne dans la structure de la dollarisation. Ce qui a permis d’éliminer le marché parallèle de devises pourtant, la dollarisation de l’économie haïtienne va augmenter et aggraver le flot de problèmes déjà existants dans cette économie.

La mise en place de la politique de change adoptée dans le cadre des « Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) de 1986 », a conduit le pays à abandonner en 1990 le régime de change fixe pour l'adoption de l'autre ancrage de coin, le régime de change flottant. Dans ce contexte, les autorités monétaires devaient, en adéquation aux prescrits de ces programmes, d'instaurer des politiques monétaires et de crédit afin de garantir la stabilité du taux de change et du niveau des prix. Au lieu de prendre cette voie, elles préféraient d’agir et d’intervenir au besoin, par l’utilisation des instruments de politique monétaire, en vue de contenir la volatilité du taux de change. Ces politiques s’ axaient sur la « restauration de la stabilité financière en assurant une augmentation de la masse monétaire qui soit adaptée aux objectifs de croissance, d'inflation, et de balance de paiement pour faire face à la réduction progressive des supports externes », (DESHOMMES). Malgré les mécanismes et les politiques de contrôle de change utilisés, le taux de change reste toujours une variable macro-économique très instable. Donc, ce qu’on peut voir en Haïti, c’est la montée vertigineuse du dollar (US) par rapport à la gourde. Actuellement, il nous faut plus de 110 gourdes pour échanger contre seulement un dollar. « Cette situation est plus que pitoyable ! ». Elle est due aux comportements des acteurs politiques et aux acteurs économiques par le seul fait qu’on a choisi d’imposer des (taux d’intérêt) par rapport à la fréquence d’utilisation du dollar. Ce que nous ne produisons pas d’ailleurs comparativement à la gourde qui est la monnaie locale. Ce qui a engendré, sans nul doute, la mainmise de l'administration Étasunienne sur la vie politique et économique du pays.

L’apparition de la Covid-19 a fait chuter l’économie haïtienne. Elle provoque également une sorte de paralysie aux activités agricoles qui, elle-même entraine la hausse du taux de change par défaut de production. Les nantis, qui sont détenteurs de plus de 90% de la richesse nationale, utilisent leur position dans l’ordre social et économique pour imposer une dictature de taux de change. À titre de rappel, depuis 1991 le dollar américain n’a cessé de gagner de valeur par rapport à la gourde, c’est ainsi qu’ils achètent sans limite le dollar pour et perpétuer la spéculation monétaire au détriment de la masse laborieuse.


Par ailleurs, certains gens de la classe exploiteuse n’ont pas la possibilité d’avoir en leur possession de grandes quantités de dollar us pour fonctionner au quotidien dans le pays. Sauf qu’on leur met un couteau à la gorge en les obligeant à faire des transactions qui leur coûtent les yeux de leur tête pour avoir des dollars afin de pouvoir louer un appartement, de se payer une voiture d’occasion, de payer des frais de scolarité des enfants et aussi, ils méfient de plus en plus la gourde, et veulent à tout prix épargner leur argent en dollar et non en gourde. Une discrimination qui valorise le dollar au détriment de la gourde. Ce qui fait que le pays évolue actuellement dans une économie de dollarisation de fait.


L’augmentation du phénomène est due à la méfiance et à la baisse réelle de la confiance des agents économique dans la monnaie nationale. En perdant de jour en jour sa valeur, cette dernière laisse place au dollar qui, au même titre qu’elle, joue le rôle d’unité de compte, de réserve de valeur et d’instrument d’échange à l’achat et à la vente de différents biens et services à l’intérieur même du pays. Autrement dit, les agents économiques choisissent de plus en plus de libellés la totalité ou une partie de leurs épargnes ou leur transactions (achat ou vente) dans la devise étrangère. C’est peut-être ce que Bernis appelle un « cas pathologique d’une nation à ce point dominée et désarticulée que sur son espace juridique, circule une monnaie étrangère qui sert de moyen de paiement » (Doura).

L’inefficacité de la politique monétaire a des impacts sur la montée du dollar en Haïti. Les effets de la politique monétaire ne sont toujours que provisoire sur l'économie. Autrement dit, elle ne produit que des impacts de court terme face à la dégringolade de la gourde. De plus, plusieurs autres facteurs sont également responsables de la déficience de la gourde par rapport au dollar us. Par exemple, l'accumulation de plus en plus importante des déficits budgétaires et commerciaux, la grande faiblesse de la production nationale, le déséquilibre entre les exportations et les importations fait détériorer le terme de l'échange, les politiques fiscales de l'Etat, le faible flux de capitaux, l'instabilité politique, le faible revenu dans l’économie, la présence des marchés financiers peu développés, des informations insuffisantes sur l’état exact de l’économie ainsi qu’une plus grande fréquence des chocs extérieurs et intérieurs, la puissance d'un secteur informel sur lequel l’État dispose moins d’information sont aussi à considérer etc. ces facteurs réduisent de plus en plus les marges de manœuvre de la banque centrale, l'inefficacité de la politique monétaire établie, par cette dernière, l'empêchant ainsi d'atteindre les objectifs fixés. Cette politique monétaire trop souvent faite sans l'appui d’une politique budgétaire efficace, n'influence pas assez sur l’économie pour qu'on puisse vraiment prétendre qu'elle permettra à la gourde d'afficher une meilleure posture face au billet vert.


D'après les indicateurs de dollarisation de la BRH, le ratio des prêts dollars/dépôts total en dollars est passée de 5,84 % en septembre 1992 à 53,31% en septembre 1998, puis diminuer à 31,56 % en septembre 1999. Le pourcentage de ce ratio est passé à 49,26 % en mars 2002, puis a 51,00 en septembre 2005. Ce taux oscille aux alentours de 56 % de 2010 à 2014. Ainsi, on peut dire que cette économie est devenue bien plus fortement dollarisée, car plus de 50 % des actifs dans le système bancaire sont en dollars américains.


En fin de compte, nous voulons surtout clarifier que nous choisissons de ne pas approfondir les questions structurelles, question de temps et d’espace. Donc, dans ce contexte d’état d’urgence sanitaire, les dirigeants doivent pour une fois se mettre à la hauteur de leur responsabilité pour éviter la double circulation monétaire en Haïti, parce que la dollarisation a des conséquences profondes sur l’économie du pays. Quand il y a double circulation monétaire dans un pays, la plus forte chasse au fur et à mesure la plus faible (LOI de Gresham). Ce phénomène établit au fil du temps une sorte de déséquilibre et d’injustice parmi les utilisateurs et les consommateurs où l’État perd toute sa capacité à ajuster les fluctuations du taux de change par la politique monétaire. Il perd sa capacité à faire apprécier la monnaie locale. D’où, la nécessité pour que les dirigeants haïtiens ne puissent pas appliquer à la lettre les prescriptions de l’administration américaine à travers leur ambassade.

Que doit-on faire? Les autorités étatiques, pour remédier aux problèmes de la double circulation monétaire dans l’économie haïtienne, doivent mettre en place avec les autorités monétaires de nouvelles politiques de change capable d’aider au ralentissement de l’inflation, de renforcer la stabilité et la crédibilité de notre système économique. Les responsables devraient se positionner sur le développement de la production nationale, principalement dans des domaines où Haïti possède des avantages comparatifs sur le marché, le développement de l’investissement privé par secteurs, surtout dans le secteur agricole, le maintien de la stabilité macroéconomique. Car si les autorités ne poursuivent pas les réformes adéquates pour consolider les progrès accomplis, dans les domaines précités, la pauvreté et le dollar vont augmenter davantage. Une plus grande présence de l’Etat, dans l’établissement des politiques économiques en vue de faire appliquer et respecter justement les lois, décrets et directives de la république. De plus, une meilleure coordination entre les politiques budgétaires, fiscales et monétaires pour une meilleure gestion des fluctuations du taux de change. Une telle manœuvre pourrait faire objet d’une politique de long terme, moyennant la fixation de ces objectifs et d’un délai. Ces mesures devraient également garantir : une amélioration au niveau de l’inflation ; une cohérence et cohésion dans l’établissement des politiques économiques ; une cohérence des politiques de croissance économique ; une plus grande efficacité des politiques monétaires ; un suivi régulier de la mise en œuvre et une évaluation périodique. Pour cela, il nous faudrait des autorités compétentes et plus en plus fortes, soucieuses de l’urgence de l’heure et des avancées économiques que nous devrions entamer dans les prochaines années.

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